"Il ne se passe rien mais je ne m'ennuie pas" par Phillipe Billé


Je ne connaissais pas du tout Heptanes Fraxion, dont le nom étrange ressemble à un pseudonyme. Je découvre ses poèmes dans le recueil Il ne se passe rien mais je ne m'ennuie pas, que m'offre l'éditeur Cormor en Nuptial. Le livre accroche par son titre au gabarit d'alexandrin paisible et par le beau dessin de couverture signé Wood (un homme somnolant ou méditant devant une bouteille, les yeux fermés, la clope aux doigts, mal rasé mais portant cravate). Commençant comme souvent par la fin, j'ai d'abord été quelque peu refroidi par la postface, où quelqu'un parle mal de la revue Valeurs actuelles, qui a ma sympathie, et je redoutais d'avoir affaire à de la poésie de gauche. Ce n'est pas vraiment le problème. Ce «parasite pédé» (selon le rabat) fait penser à Bukowski par son profil de marginal buveur, aussi par son mode d'expression laconique, égrenant les propositions sur un rythme lent : «Gabriel est mort pendant la nuit / tu prends tes médocs / tu te rases / tu sors / tu trouves refuge dans une laverie automatique / où tu te surprends à prier.» Il y a chez lui de l'affliction («des nuits sous des ponts ... à dormir en sursaut dans son blouson») et de la célébration («que son sourire à elle c'est du soleil pulsé» ... «ses cheveux décochent des flèches»), du sérieux («le pouvoir de se nuire mutuellement régit l'univers / avec autant de force que la force gravitationnelle») et de l'enjoué («je partirais bien quelques semaines en week-end»), des images inattendues («apprendre à jongler / avec les grosses caillasses de mes pensées») et même du bon sens («jamais d'emprunts jamais»). Ce livre m'a plu, je l'ai relu et je le relirai.

Phillipe Billé



Commentaires